Stéphane Hugon, sociologue et fondateur d'Eranos, société d'études qualitatives spécialisée dans la prospection et l'identification des imaginaires sociaux contemporains.



Que pensez-vous de cette polémique Facebook et de ce que cela implique pour les utilisateurs ?
Les conditions d'utilisation du réseau social ont beaucoup évolué au fil des années et pas de manière comprise par les utilisateurs. Dans leur esprit, il s'agissait de messages privés. Quand ce possible bug est remonté hier, il y a eu un véritable emballement dans l'après-midi à mesure que les gens réalisaient l'étendue des informations partagées. Ce qui s'est passé, c'est que les utilisateurs ont constaté que leur propre maturité d'utilisation n'était pas la même en 2009 qu'aujourd'hui.
Mais c'est l'évolution des conditions de confidentialité de Facebook qui joue également un rôle majeur...
La question de l'innovation ascendante est effectivement primordiale. Personne ne sait comment Facebook fonctionne vraiment. Chacun projette sur le service son fonctionnement supposé. La réalité, c'est que les gens utilisent les outils comme bon leur semble. Il y a un problème d'usage de Facebook qui est flagrant.
En quoi est-ce que Facebook est un cas particulier par rapport aux autres réseaux sociaux ?
Facebook est un mouvement particulier dans la vie des réseaux sociaux. C'est une exception car il exige de garder la même identité quel que soit l'interlocuteur. On ne peut pas avoir d'avatar. Depuis 1996-1997, la culture web voulait qu'on utilisait des avatars différents selon les personnes à qui on s'adressait. Google+ reprend d'ailleurs cette philosophie avec son système des cercles.
Donc Facebook est une exception...
Oui, c'est le seul réseau social à ne pas le faire alors que partout l'idée de la pluralité d'identité est un standard. Finalement, Facebook a une fonction de pédagogie, celle de montrer aux gens comment il faut utiliser un réseau social. Le risque, c'est que Facebook devienne comme des pages jaunes. Un réseau générique qui va finir par manquer de convivialité et donc, d'une certaine manière, décliner.
Vous prédisez la fin de Facebook ?
Pas tout à fait. Mais il est certain qu'à un moment donné Facebook devait craquer car il oblige des gens de différents univers à se rencontrer et, une fois une certaine masse critique atteinte, ce n'est plus tenable. C'est une sorte d'effet village. Quand tout le monde se connaît, l'atmosphère devient trop pesante, on se lasse. Facebook a eu beau appliquer la philosophie des cercles dans la foulée de Google+, il était trop tard. L'effet de transparence est insupportable pour l'utilisateur. Cette transparence est vouée à l'échec.
Quid des personnes qui ont quitté Facebook hier dans la précipitation en désactivant leur compte ? Vont-ils revenir en arrière ?
Il est impossible de ne pas appartenir à un réseau social. Facebook étant de plus en plus l'équivalent des pages jaunes, il est difficile de ne pas en faire partie. Je pense que cette polémique ne va pas affaiblir Facebook mais elle va profiter à d'autres réseaux sociaux. De toute façon, avoir le monopole des réseaux sociaux, ce n'était pas possible. En France, les gens utilisent régulièrement un peu plus de deux services de ce type. Le risque, c'est que Facebook, en devenant un générique, perde son énergie et voie les échanges interpersonnels ne plus passer par là. Il y aura moins d'intensité. Toujours autant de membres mais moins de personnes actives.

Source: http://www.metrofrance.com