Malgré les progrès de la robotique, il n'est pas certain que l'intelligence artificielle puisse dépasser l'intelligence humaine. En cause ? Le "facteur humain". Derrière la machine, cherchez l'homme.
Selon l'état de la science et de la technique mais aussi des circonstances socio-économiques, les modes d'action des machines ou des hommes constituent l'excellence en matière de production.
Aujourd'hui, tout semble avoir été exploré : on a cru que les machines construites au titre des sciences appliquées offriraient une plus grande fiabilité que celles inspirées de la tradition ; on a remplacé les hommes par des machines et constaté que la question de la fiabilité restait posée, notamment quand ces machines étaient conduites par les hommes ; on a cherché à normaliser le travail des hommes jusqu'à ce qu'il devienne aussi prévisible que celui des machines ; on a voulu adapter les machines aux activités des hommes ; on a dénoncé la pauvreté des machines incapables de prendre en compte des environnements complexes ; on a modélisé le travail humain pour concevoir des machines intelligentes et réactives à leur milieu...
LE FACTEUR HUMAIN, CLE DE VOUTE DE LA TECHNOLOGIE
Depuis un siècle, et, officiellement, depuis 1954, date à laquelle fut créée la revue Human Factors, le « facteur humain » irrigue toutes ces tentatives. Parfois, il s'agit de réduire ou d'asservir l'initiative humaine pour accroître la fiabilité des systèmes de production : concevoir des machines fiables et appliquer des procédures rationnelles. Parfois, il faut respecter et solliciter les capacités créatrices de l'homme pour maintenir ou développer cette fiabilité. Ingénieurs, ergonomes, psychologues du travail se donnent le même but : il s'agit de faire et d'agir sans risques. Le « facteur humain » est devenu la clé de voûte des politiques de prévention.
Cette vision préventive vise la maîtrise du monde au nom de la rationalité technique. La demande sociale de prévisibilité est forte, et le « risque zéro » a constitué un temps donné un horizon possible. Conséquence : la prévention des risques, développée dans le secteur industriel s'applique à l'ensemble des activités de la vie en société : santé, éducation, loisirs... En même temps, la prise de risques individuelle reste valorisée par la vision libérale. Si la croyance dans le « risque zéro » a reculé, elle irrigue toujours la pensée politique contemporaine. Comment agir en revendiquant sa liberté d'action et en engageant sa propre responsabilité avec un maximum de prévisibilité ? La réponse semble être : développer un contrôle généralisé et politiquement acceptable des hommes et de leur environnement. Le modèle de la machine persiste. Il est celui du gouvernement des hommes.
L'idéologie du catastrophisme a remplacé celle du progrès inspirée par l'application de la rationalité technique. Si elle insiste sur la vanité d'une prévision illimitée de nos actions, elle rappelle aussi notre responsabilité vis-à-vis des conséquences de nos actes. Elle justifie donc une gestion rationnelle de l'activité des hommes qui passe notamment par la multiplication des procédures et des contrôles. L'usage du « facteur humain » contribue à cette construction du monde. Bien sûr, il apparaît comme une assurance face aux effets de réification entraînés par l'organisation machinale de l'action collective. Mais ne risque-t-il pas aussi de faire reculer l'humanisme auquel nous étions habitués ?
Source: http://www.planete-plus-intelligente.lemonde.fr