Pour une grande entreprise, partager les données n’est pas simplement sacrifier à une mode de transparence obligée et d’ouverture des informations. Ce partage peut aboutir à un changement profond des comportements des citoyens et c’est là un enjeu passionnant.
Quand, en 2000, RTE (Réseau de Transport d'Electricité) a été créée comme gestionnaire unique du réseau de transport d'électricité, le premier outil de communication digitale, très vite mis en place, fut le site internet avec -ce qui était à l'époque une innovation- la publication en temps réel de la courbe de consommation électrique française.
Même si, alors, il n'y avait pas toutes les préoccupations économiques et écologiques que l'on connaît aujourd'hui - notamment les pics de consommation pouvant perturber en hiver la livraison de l'électricité, ou la conscience des émissions de CO2 capables de modifier le climat, nous avons très vite constaté que cette donnée publique suscitait beaucoup d'intérêt auprès du grand public.
Pouvoir suivre, heure par heure, la courbe de consommation et donc visualiser graphiquement le mode de vie quotidien des Français, de leur lever à leur coucher, a tout de suite attiré une grande curiosité.
Dès lors, nous nous sommes dit qu'il était possible d'aller au-delà de cette donnée globale sur le volume d'électricité consommé au fil des jours et des heures de l'année, en fournissant plus d'informations sur la composition du « mix » énergétique (quel type de production d'électricité correspond à la consommation d'un instant donné ?). De là, il était possible de déduire automatiquement les émissions de C02, devenues un vrai sujet d'interrogation dans toute la société. Bref, une information transparente, au fil de l'eau, permettant de savoir à tout moment la part du nucléaire, des énergies renouvelables et de tous les autres types de production dans le « mix » français. C'est l'objet de l'instrument eCO2mix.
TRANSPARENCE ET PRUDENCE
Ces données, nous nous devons de les restituer de façon consolidée, en faisant attention à ce qu'on ne puisse pas identifier les acteurs concernés, producteurs ou consommateurs. En effet, elles ont une valeur commerciale, et sont soumises à la confidentialité.
En d'autres termes, nous avons un défi permanent : développer une vraie transparence, car dans un univers concurrentiel, celui qui est au milieu du jeu (qui achemine les électrons vers tous et pour tous) doit être une « maison de verre » et fournir une information riche, fluide à un maximum d'acteurs. Mais, dans le même temps, il est essentiel de ne pas divulguer des informations commercialement « sensibles », qui fausseraient le fonctionnement du marché.
Au plan sociétal, les enjeux sont clairs. La conscience du grand public sur les questions énergétiques a évolué en dix ans. Nous sommes désormais entrés dans l'ère des smart grids et de l'intelligence collective des réseaux. Le grand public est prêt à devenir un co-acteur de la transition énergétique, il n'est plus dans la posture de récepteur passif ; il rentre de plain-pied dans les processus d'adaptation des modes de consommation.
Aux heures de pointe, beaucoup de Français souhaitent connaître l'impact de leurs habitudes de consommation sur la sécurité électrique de notre pays ou sur les émissions de CO2. Ils veulent comprendre et adapter leur consommation pour rentrer dans cette démarche collective et limiter les émissions de CO2. Même si ces informations ne sont pas toujours simples d'accès et même si tous les consommateurs ne sont pas au même niveau de conscience, notre rôle est, via nos « outils » de communication, de faciliter cette prise de conscience.
C'est assez passionnant pour une entreprise : nous avons de l'information, si nous la diffusons de façon très large et intelligente, les comportements culturels de fond peuvent évoluer de manière positive.
UNE EXTENSION PLUS FINE AUX REGIONS FRANCAISES
Nous l'avons vu avec un exemple spécifique : Ecowatt. Les consommateurs (volontaires) des régions les plus excentrées, comme la Bretagne et l'est de la région PACA (Var, Alpes-Maritimes) peuvent s'inscrire sur un site et recevoir ultérieurement, sur leur portable, leur ordinateur ou leur e-book, les « alertes » les avertissant de l'arrivée de perturbations atmosphériques ou de grands froids susceptibles de perturber l'approvisionnement en électricité.
Démarré comme un exercice test en 2008, nous ne savions pas si beaucoup de bretons s'inscriraient à ce nouveau service. Il n'y a pas d'incitation financière : si le consommateur décide de reporter l'usage de son lave-linge ou de son lave-vaisselle, il n'a pas pour autant une remise de 10 ou 15 euros sur sa facture !
Eh bien, même sans cette rétribution, 30.000 Bretons se sont volontairement inscrits à ce jour dans ce dispositif, montrant ainsi qu'ils partageaient cette préoccupation collective. Leur action peut influer sur près de 2% de la consommation régionale. Or, en période de tension sur l'équilibre offre/demande, la possibilité de faire «disparaitre» ces 2 % est décisive pour passer les pics de consommation et participe d'une gestion plus « fine » du réseau.
LES PROJETS EXISTENT AU NIVEAU EUROPEEN
Tout ce qui a été mené en France, au niveau régional ou national sera sans aucun doute, un jour ou l'autre, transposé au niveau européen. Avec un « bémol » : il est peut-être un peu plus compliqué de s'adresser à des opinions publiques de cultures différentes.
Mais il est intéressant de relever la façon dont, déjà, se coordonnent cinq transporteurs d'électricité au sein de Coreso. Basé à Bruxelles, Coreso est l'exemple-type d'un centre de pilotage transnational, réunissant les transporteurs britanniques, belges, allemands, italiens et français. Ce maillage de partenaires permet de couvrir la moitié des Européens, soit plus de 200 millions d'entre eux. Il anticipe les éventuelles difficultés de transit de l'électricité à J-1 ou J-2. Grâce à l'anticipation collective des cinq partenaires, on réussit ainsi à éviter des problèmes majeurs dans l'alimentation des pays européens concernés.
Il serait bien normal de présenter, à terme, aux citoyens de l'Europe les données relatives à cette coordination transfrontalière.
Source: http://www.planete-plus-intelligente.lemonde.fr