Toutes les organisations informatiques sont soumises plus ou moins directement à des autorités de contrôle, à savoir en France la CNIL qui fête ses 32 ans. Elle avait été créée pour contrer un éventuel Big Brother. Mais est-elle armée face aux Little Sisters ?



Lorsque l'on évoque la société de surveillance, il est une image qui s'impose à chacun d'entre nous, celle de Big Brother. Dans le roman de George Orwell, Big Brother est l'instrument de la surveillance et du totalitarisme. Il sait tout, voit tout, entend tout, les individus devenant transparents sous l'effet de sa scrutation générale. Individus transparents, dépourvus du droit à la vie privée, Etat opaque, n'obéissant à aucun contrôle indépendant, telle est la définition de la dictature.

C'est cette crainte du Big Brother étatique qui explique la création, en 1978, de la CNIL. Face à un Etat qui s'informatisait, bien davantage à l'époque que les entreprises, la crainte d'une intrusion excessive des puissantes administrations centrales dans la vie privée des citoyens français se fit jour. Sa réponse aussi : la création d'une autorité indépendante, certes publique, mais ne relevant d'aucune administration chargée de réguler ce Léviathan informatique émergeant.

Trente deux ans après, le risque est-il toujours le même ? Est-il seulement du côté du Big Brother, ou bien d'autres formes, plus insidieuses, de la surveillance sont-elles apparues ? Pour poursuivre dans la métaphore anglophone : quelle est la menace, Big Brother ou bien Little Sisters?

J'appelle Little Sister la multiplication, non coordonnée, des systèmes d'information collectant des données sur les personnes dont la synergie pourrait conduire à une certaine forme de surveillance, donc de restriction des libertés individuelles. Les quelques exemples suivants en sont l'illustration.

La vidéosurveillance tout d'abord, qui se généralise dans notre société et qui investit tous les espaces, publics et privés, la rue comme l'entreprise. Près de 3 000 systèmes ont ainsi été déclarés à la CNIL en 2009.

Le développement de la géolocalisation ensuite, des véhicules professionnels et particuliers, d'une part, grâce aux offres commerciales des compagnies d'assurance (le fameux "pay as you drive"), des personnes elles-mêmes par leur téléphone portable, d'autre part.

C'est la biométrie enfin, dont l'usage se banalise dans les collèges, les entreprises et les administrations (près de 900 autorisations ont été délivrées par la CNIL en 2009).

ET QUAND LES PETITES SOEURS S'UNISSENT...

Au-delà de ces phénomènes pris isolément, c'est leur synergie qui s'esquisse aujourd'hui par la convergence des technologies. Vidéosurveillance et reconnaissance biométrique des visages, vidéosurveillance et puces RFID, sont déjà à l'œuvre à titre expérimental. Elles conduisent à une performance du traçage dans l'espace des personnes jamais atteinte par le passé.

A ce premier traçage, on peut en adjoindre un second, dans le temps, qui est à l'œuvre sur les réseaux numériques. Le web et les réseaux sociaux sont un prodigieux espace de création, de communication et de liberté, mais aussi un espace de dépôt de traces, souvent collectées à notre insu, aux fins de profilage. L'absence de règles mondiales en matière de durée de conservation des données, de droit des personnes à l'égard des informations qui les concernent, font qu'une donnée circulant sur le web peut quasiment l'être indéfiniment. Que vous soyez l'auteur d'une tribune, ou que l'on vous l'impute, 3 ans, 5 ans, 10 ans après, il sera toujours possible de l'exhumer contre vous grâce aux moteurs de recherche. Quelle est le devenir de la liberté d'expression dans cet univers ou plus personne ne peut changer d'avis, d'amis, de vie ?

C'est toute la problématique du droit à l'oubli. Little Sisters sont-elles vraiment plus gentilles que leur grand frère ?

Source: http://www.planete-plus-intelligente.lemonde.fr